À quelques semaines de la sortie d’Ishtar – Les jardins de Babylone, le temps est venu de poser quelques questions à ses auteurs. En effet, quels meilleurs interlocuteurs pour vous présenter ce nouveau jeu de stratégie que ceux qui l’ont imaginé et conçu ? Tous deux ont eu l’amabilité de répondre à nos questions. Accessibilité, rejouabilité et jeu de Go, découvrez les éléments qui forgent l’ADN d’Ishtar…

IELLO : Bonjour, Bruno Cathala, bonjour Evan Singh !

Bruno & Evan : Hello IELLO !

IELLO : Nous voici réunis pour évoquer ensemble la prochaine sortie d’Ishtar – Les jardins de Babylone. Pouvez-vous nous le présenter en quelques mots ?

Evan : Avec plaisir ! Dans Ishtar, les joueurs incarnent des jardiniers confrontés à une surface aride, dans laquelle existent néanmoins quelques rares points d’eau, dons de la déesse Ishtar. Pour redonner le sourire à la reine, issue d’un pays beaucoup plus verdoyant, ils vont tenter de créer des jardins et des parterres fleuris, au départ de ces points d’eau. Mais attention : les règles paysagères de l’époque sont rigoureuses : un jardin ne peut pas être connecté à deux fontaines différentes ! Cette règle est l’idée directrice qui a conduit à ce jeu.
Bruno : En termes de sensations de jeu, on se rapproche volontairement de quelque chose comme le Go. En effet, au début de la partie, on fait à peu près ce que l’on veut, et on a le sentiment que poser une tuile ici où là n’a pas d’importance. Et puis, au fil de la partie, les surfaces cultivées s’étendent et créent alors des zones de blocage. On se rend alors compte (et parfois trop tard !) de l’importance des premières poses.

IELLO : Ishtar – Les jardins de Babylone est un jeu de stratégie qui repose sur le contrôle de zones au sein d’un espace commun. D’où vous est venue l’inspiration pour ce jeu ?

Evan : La base de la mécanique d’Ishtar vient de l’idée de mélanger compétition et coopération. J’ai depuis longtemps en tête l’idée de proposer aux joueurs une compétition au sein de plusieurs espaces, mais que ces espaces soient aussi en compétition entre eux. Cela a donc dérivé sur cette notion de territoires que l’on essaie de faire grandir à plusieurs, tout en y étant dominant et en bloquant les autres territoires.
Bruno : L’idée initiale est celle d’Evan. Lorsqu’il m’a demandé si ça m’intéresserait que l’on fasse ce jeu ensemble, j’ai tout de suite été emballé. J’y voyais comme une sorte de continuité avec Five Tribes. Car si Five Tribes est un jeu de plateau d’aujourd’hui basé sur l’expérience ludique de l’awélé, je voyais ben comment faire d’Ishtar un jeu de plateau d’aujourd’hui basé sur l’expérience ludique du Go.

IELLO : Quelles ont été les principales modifications entre le prototype et la version définitive. Le jeu a-t-il beaucoup évolué ?

Bruno & Evan : Honnêtement, aucune évolution entre le prototype et sa version définitive sur le plan de la règle du jeu. Comme on a continué à tester encore et encore ce jeu pendant son développement graphique, on a parfois fait un peu de fine-tuning sur la valorisation de tel ou tel aspect en termes de Points de Victoire. Mais vraiment que du détail. Les seules évolutions réelles ont été… artistiques !!

IELLO : Ah, parlons des illustrations justement. C’est Biboun qui a eu la difficile tâche d’illustrer le jeu. Quel regard portez-vous sur son travail ? Avez-vous échangé avec lui tout au long du développement ?

Bruno & Evan : Nos échanges avec Biboun se sont résumés à un contact, essentiel, autour d’une partie commune sur le prototype lors du salon de cannes 2018. Ensuite, c’est le chef de projet, Ludovic Papaïs, qui a directement pris le relais et échangé avec lui tout au long de la création pour assurer la direction artistique. Pour autant, nous avons eu une relation de partage total avec Ludovic, et chaque avancée graphique a fait l’objet de discussions et validations communes. Une façon de travailler réellement très agréable, et un résultat final véritablement enchanteur. On n’aurait pas pu rêver mieux.

IELLO : Pour revenir sur la mécanique, Ishtar impressionne par son équilibre entre profondeur et accessibilité. Est-ce un élément que vous avez particulièrement travaillé ?

Bruno : J’ai coutume de dire que créer un jeu compliqué est assez simple. En effet, on dispose alors d’une tonne de paramètres différents, et, laborieusement, en y mettant le temps nécessaire, touche par touche, il est alors possible de « tordre » l’ensemble de ces paramètres jusqu’à obtenir la réponse finale que l’on souhaite. Mais lorsque l’on procède de la sorte, on arrive à des jeux, en tout cas pour mon propre goût, indigestes. De façon générale, je tente, au travers de mon travail, de développer les systèmes les plus épurés possible, ce qui permet une vraie accessibilité. La profondeur de jeu, quant à elle, est liée à la richesse des possibilités s’offrant aux joueurs. C’est cette façon de travailler et de penser le jeu que j’ai ici aussi tenté d’insuffler dans Ishtar.
Evan : Oui ! Garder le jeu accessible a toujours été une priorité. La mécanique principale des jardins est simple et intuitive, mais tout l’aspect combinatoire est aussi très simple. La profondeur vient de l’interaction entre les éléments et la façon dont les joueurs vont exploiter ces interactions. Dans Ishtar, tout est connecté !

IELLO : L’un des points notables d’Ishtar, c’est qu’il permet d’essayer et déployer des stratégies personnelles au milieu d’un environnement hostile, car partagé entre tous les joueurs. Est-ce que l’interaction entre joueurs vous tient particulièrement à cœur ?

Bruno : En ce qui me concerne, je n’aime pas beaucoup les jeux dans lesquels chacun développe « son truc dans son coin », sans véritable interaction avec les adversaires. Ici, l’interaction est grande, et pour autant assez subtile : la pose des pelouses/parterres se fait avec l’objectif principal d’étendre son domaine, voire d’anticiper des connexions futures, tout en pensant à limiter celui des autres. Mais sans caractère réellement agressif. Dans la zénitude, quoi. De même, la plantation d’arbres permet de rapidement limiter une dangereuse extension adverse, mais en faisant aussi attention aux points qu’ils peuvent octroyer. C’est cette interaction à la fois calme et puissante, en mode « force tranquille » qui confère cette expérience de jeu que nous voulons spécifique.
Evan : Je ne pense pas qu’il y ait un dosage type ou standard pour l’interaction dans un jeu. Cela dépend vraiment de chaque jeu, en fait. Dans Ishtar, nous avons toujours cherché à ce que l’interaction soit forte, car cette coopération / confrontation était à la base du jeu. Les joueurs ont vraiment intérêt à s’aider à développer les jardins, tout en faisant extrêmement attention aux opportunités qu’ils peuvent ouvrir à leurs adversaires. J’adore ce genre d’interaction : cela rend chaque coup important et force à surveiller tous les coups des adversaires, même ceux qui sont de l’autre côté du plateau.

IELLO : On réalise dès la mise en place « libre » que la rejouabilité est également très travaillée sur ce titre.

Bruno : Oui. Parce qu’en ce qui me concerne, j’aime « tomber amoureux » d’un jeu et avoir envie d’y revenir, encore et encore. Ce qui me permet de découvrir, au fur et à mesure de mes parties, de nouvelles subtilités. Bien évidemment, je souhaite que les joueurs ressentent eux aussi cette envie avec Ishtar, mais maintenant, c’est à eux d’y jouer !
Evan : Oui, c’est vraiment important. Il faut avoir envie de rejouer à un jeu : ce petit moment à la fin de la partie où on se dit qu’on s’en referait bien une pour tester une autre stratégie, c’est ça qui fait tout. Et pour moi, c’est ce qui se passe dans Ishtar : j’ai toujours envie de faire une partie de plus pour essayer quelque chose de nouveau.

IELLO : Puisque vous parlez de stratégies… elles sont nombreuses pour gagner dans Ishtar. Quelles sont celles que vous préférez mettre en œuvre ?

Bruno : je ne démarre jamais une partie en ayant décidé par avance de la stratégie que je vais utiliser. Je choisis cette stratégie sur mes deux premiers tours, en fonction de ce qui commence à se passer sur le plateau. Par contre, ensuite, une fois cette stratégie définie, il convient de s’y tenir, sous peine de se disperser et d’être… inefficace. Bref, les circonstances me dictent ma préférence du moment.
Evan : j’aime bien jouer les arbres. Mais c’est vrai que c’est plaisant de pouvoir s’adapter en découvrant le plateau et surtout après avoir observé les premiers coups de ses adversaires.

IELLO : Quels sont vos projets à venir ? Envisagez-vous de retravailler tous les deux prochainement ?

Bruno : plein de projets, comme d’hab.’ Mais rien avec Evan à ce jour. N’empêche que si une envie commune venait à poindre le bout de son nez (oui, les idées ont du nez), je re-signe immédiatement avec plaisir.
Evan : Oh, j’adorerais travailler de nouveau avec Bruno. J’ai bien sûr d’autres idées dans mes cartons, mais rien qui ne verra le jour à court terme.

IELLO : Un énorme merci à vous deux. Un petit mot pour les joueurs qui s’apprêtent à découvrir Ishtar ?

Bruno : Il ne faut jamais dire « Fontaine je ne boirai pas de ton eau » 😉
Evan : Qu’ils deviennent de fabuleux bâtisseurs de jardin !